#1605

Difficile de dire lequel d’entre eux allait être choisi en premier.
Hommes, femmes, enfants; il n’y avait aucune distinction. Vieux et jeunes avaient été alignés, bien tristement, en rang d’oignons, des porcs prêt à rejoindre l’abattoir. Lire la suite

Love effect

Elle riait aux éclats. Il souriait bêtement. Il n’y a jamais eu d’égalité dans cette relation, comme dans beaucoup d’autres. Ce n’était en rien basé sur quoi que ce soit de charnel – pas au début en tout cas. Et puis, ça a commencé petit à petit. C’était un tourment de mille flammes, une confusion douce, un grand brouillard sucré mais léger. Elle avait l’air d’en savoir plus que lui. Sur la vie, sur le sens, sur tout. Il devait ré-apprendre les fondamentaux, les relations, quoi dire et quoi penser. Sans ça, il ne pourrait jamais se débrouiller pour quoi que ce soit. Il faisait partie de ceux que l’on appelait plus communément dans les rames de métro « les attardés émotionnels ». Ils n’avaient jamais vraiment abordé ce sujet-là, mais il savait bien qu’un jour ils finiraient pas y arriver, qu’elle finirait par s’en rendre compte. Alors, juste comme ça, au détour d’une gorgée brulante, d’un léger parfum de chocolat chaud, Sami a lancé : Lire la suite

Out of step

On t’avait pas dit que ça se passerait comme ça. En fait, à bien y réfléchir, on t’avait carrément dit le contraire. Franchement, si t’avais su,hein? Mais bon, quand on est gosse, qu’on pige pas grand-chose, on se laisse facilement avoir. Puis après, quand on est lancé, difficile de s’arrêter en route – enfin en tout cas pour ceux qu’aiment bien aller aux bouts de leurs idées. Moi personnellement, on m’avait dit, tiens toi bien, sois sérieux. Tu verras, qu’ils disaient, tu verras comme ça paye. Seulement j’avais pas encore intégré l’ironie. Parce que ouais, en fait, bien se tenir, être sérieux; tout ça, c’est du flan, ça paie pas. Lire la suite

Oculus

Le geôlier tapota nonchalamment sur les touches. Quatre. Cinq. Huit. Sept. Tous les codes d’accès de ce niveau avaient été changés pour celui-ci; uniformisation des procédés pour plus de sécurité. La porte se déverrouilla sur un long grésillement, et révéla un autre couloir tout en longueur. Ils avancèrent en trottinant, suivant le geôlier qui, visiblement, avait déjà emprunté ce chemin des centaines de fois. Même s’ils le voulaient, ils n’auraient jamais réussi à s’échapper. Tout le monde connaissait la Tour, beaucoup savaient qu’il était quasi-impossible d’y entrer sans laisser-passer, personne n’avait réussi à en sortir sans y être autorisé. Après les évènements des dix dernières années, la sécurité était devenue le souci primordial des gouvernements comme de la population; aussi, lorsque la Neuvième République fut instaurée, on déclara tous les édifices et bâtiments dédiés au service publique comme ZP1 – la plus haute distinction en termes de protection militaire. On rénova ensuite tour à tour chacune des prisons du continent, et la Tour fut construite quelques mois plus tard, comme le symbole d’une nouvelle ère. Lire la suite

Problèmes d’interprétation

– Tu ne vas pas m’dire que tu vas publier tout ça quand même, si?
– Pourquoi pas?
– Je sais pas, tu n’as pas peur de ce qu’on va en dire?
– « on »?
– Oui tu sais, les gens.
– J’y ai jamais vraiment réfléchi.
– Eh ben moi oui. Sans parler de ceux qui nous connaissent.
– Comment ça?
– « Est-ce que c’est vraiment une histoire? », « est-ce que c’est à propos d’Adèle? », et j’en passe.
– Est-ce que c’est vraiment une histoire? Lire la suite

Zéro pointé

C’est arrivé comme ça. Personne ne l’avait vu venir avant, et vous me direz, personne ne voit jamais rien venir. Bien triste vérité, pourtant trop réelle. Tout le monde s’est regroupé, formant un cercle pas tout à fait fermé, les yeux rivés sur les gouttes, la flaque, la mare. On n’avait rien entendu, si ce n’est le vent se déchainant au dehors et soufflant les branches encore fleuries d’arbres quelconques. Le cours se déroulait comme à l’accoutumée; professeur lisant, professeur posant une question, élèves ne répondant pas, professeur reposant la question sous une autre forme, élèves ne répondant toujours pas, professeur perdant patience, jusqu’à qu’un élève, toujours le même, finisse par lever la main. Ça en était presque devenu un rituel, et se passait toujours après le rituel d’entrée en classe – bonjour, asseyez-vous, quel temps fait-il aujourd’hui. Un rituel après un rituel. Lire la suite

Lundi

On dit que le dimanche, c’est le jour du seigneur. Mais alors, qu’est-ce que ça fait du lundi ? C’est le jour des apôtres ? Le jour du traitre ? Le jour du pauvre idiot qui s’use les genoux à force de cirer le parquet miteux de l’église du centre de la place du village ? Qu’importe. Le lundi me donne envie de prier. Fort. Et de gueuler un peu aussi. Plus fort. Lire la suite

Post de gare

J’attendais patiemment, jouant avec mon Sartre, le faisant pivoter, basculer, cogner la table, lorsqu’il entra finalement dans le café. Vinnie ne savait pas faire une entrée discrète, il se devait toujours de saluer chaque personne présente là où il se rendait, peu importe le nombre. Il referma la porte sur lui, redressa le col de son manteau d’un geste bien maitrisé, et s’avança vers ma table. Il m’adressa un sourire de vendeur. Vinnie était un drôle de type : il en connaissait un rayon et il pouvait parler de tout pendant des heures, vous poser tout un tas de questions sur tout un tas de sujets, avant de tout ramener à lui. Certains disaient que c’était un mauvais gars, un ahuri, ou je ne sais quoi encore. Je lui trouvais un certain attrait, un petit quelque chose de divertissant. Et il me prenait pour un abruti, ce qui rendait le tout d’autant plus amusant. Lire la suite