#1605

Difficile de dire lequel d’entre eux allait être choisi en premier.
Hommes, femmes, enfants; il n’y avait aucune distinction. Vieux et jeunes avaient été alignés, bien tristement, en rang d’oignons, des porcs prêt à rejoindre l’abattoir. Lire la suite

Oculus

Le geôlier tapota nonchalamment sur les touches. Quatre. Cinq. Huit. Sept. Tous les codes d’accès de ce niveau avaient été changés pour celui-ci; uniformisation des procédés pour plus de sécurité. La porte se déverrouilla sur un long grésillement, et révéla un autre couloir tout en longueur. Ils avancèrent en trottinant, suivant le geôlier qui, visiblement, avait déjà emprunté ce chemin des centaines de fois. Même s’ils le voulaient, ils n’auraient jamais réussi à s’échapper. Tout le monde connaissait la Tour, beaucoup savaient qu’il était quasi-impossible d’y entrer sans laisser-passer, personne n’avait réussi à en sortir sans y être autorisé. Après les évènements des dix dernières années, la sécurité était devenue le souci primordial des gouvernements comme de la population; aussi, lorsque la Neuvième République fut instaurée, on déclara tous les édifices et bâtiments dédiés au service publique comme ZP1 – la plus haute distinction en termes de protection militaire. On rénova ensuite tour à tour chacune des prisons du continent, et la Tour fut construite quelques mois plus tard, comme le symbole d’une nouvelle ère. Lire la suite

Problèmes d’interprétation

– Tu ne vas pas m’dire que tu vas publier tout ça quand même, si?
– Pourquoi pas?
– Je sais pas, tu n’as pas peur de ce qu’on va en dire?
– « on »?
– Oui tu sais, les gens.
– J’y ai jamais vraiment réfléchi.
– Eh ben moi oui. Sans parler de ceux qui nous connaissent.
– Comment ça?
– « Est-ce que c’est vraiment une histoire? », « est-ce que c’est à propos d’Adèle? », et j’en passe.
– Est-ce que c’est vraiment une histoire? Lire la suite

N.O.N

– C’est ce qu’il m’a dit. Pas au mot près, bien évidemment. Mais l’idée est là.
– Incroyable …
– On ne croirait pas en le voyant, hein?
Un couple entra dans le salon de thé, rayonnant, souriant. Roux, tous les deux. Tania se dirigea vers eux, leur adressa un sourire avant de prendre leur commande. Elle revint près de Sacha, et lança :
– Je t’avoue que j’ai vraiment du mal à l’imaginer.
– Lui? Ou lui faisant ça?
– Les deux! Enfin, surtout lui, et ça. Disons que, ça ne colle pas trop.
– En même temps, est-ce qu’il y a vraiment quelque chose qui « lui colle »?
Elle sourit, puis s’empara en un geste d’une pince avec laquelle, elle captura, non sans brio, un cupcake malicieux qui faisait tout pour ne pas se laisser attraper. Son pas chaloupé rythmant sa démarche remarquable, elle se dirigea vers la table occupée par le couple, et y déposa la commande. Ils avaient l’air ravis. L’homme se saisit de son portefeuille en un instant, ne laissant pas le temps à sa compagne de réagir, et tendit d’un geste chevaleresque, sa carte bleue visa. Tania l’attrapa du bout des doigts, et, tandis qu’elle en introduisait le bout dans la machine, adressa à Sacha un regard plein d’incompréhension. Comment un type comme Nick avait pu être écrivain? Bon, c’était dans une autre vie, certes. Mais quand même. On parlait bien du même Nick qui servait du jeudi au mardi avec la même salopette, qui gribouillait des phallus sur les petites serviettes à papier qu’il laissait tranquillement traîner sur le comptoir. Ce même Nick qui avait un jour prétendu avoir couché avec Kimberly Key (la célèbre styliste), ou qui avait notamment avoué (d’une confession apparemment sincère et non-forcée) être passé très près du capitanat de l’équipe nationale de rugby. Difficile d’imaginer que ce même Nick qui s’était une fois endormi dans son propre vomi avait aussi été l’auteur d’un bouquin au succès relatif. Comme quoi; les apparences. Lire la suite

I am Sinistre

Le lien d’un sac flancha, et tout le contenu se répandit sur le sol. Encore un de ces soirs où rien ne va dans votre sens, mais que voulez-vous; on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Je m’employai à ramasser chacun des déchets et les fourrai tant bien que mal dans le sac. Une fois re-rempli, j’essayai de le nouer, juste histoire de faire illusion. Je forçai sur la poignée de la porte de derrière et passai par le couloir sombre et humide qui menait jusqu’aux poubelles. À chaque nouveau pas, je prenais conscience, comme à chaque fois, que j’étais déjà passé par ce couloir des centaines de fois, et que ma vie ne devait à présent plus se résumer qu’à ce trajet ridicule. Toujours le même, toujours le même nombre de pas, toujours les mêmes sensations. J’arrivai près des containers et me rendis soudain compte que quelqu’un était en train de farfouiller dans une des bennes au coin de l’allée. Lire la suite

XXIII

Aurora-Borealis-Aberdeen-South-breakwaters-2

 

Au début, pourtant, il n’y avait rien de tout ça.
Rien que je puisse remarquer en tout cas. Et même si je dirais que ça a mis des années à se développer, tout est allé relativement vite. Je crois, non, je suis sûr, que tout ça vient des gênes. De mes gênes, hérités de mon père. Je vous ai déjà parlé de mon père? Je ne crois pas, je m’en souviendrais. Et puis d’ailleurs, ce n’est pas comme si il y avait beaucoup à dire. Lire la suite

Transcendance.

– Et au fond, qu’est-ce que j’ai accompli cette année? J’ai perdu toute confiance en moi.
– Trébucher n’est pas tomber.
– Merci, maître Yoda.
– Je ne plaisante pas, tu perds quelque chose, tu rates quelque chose. Ça arrive. Mais ça ne rend pas ta situation actuelle définitive pour autant.
– Mais bon sang … J’étais à ça … On parlait de moi, on vendait mes bouquins, et puis, plus rien.
– Tu sais ce qu’on dit, il faut toujours un moment compliqué à passer pour apprécier les autres.
– Ouais, il faut du moche sinon il n’y aurait pas de beau, c’est ça?
– Exactement.
– Merci de te sacrifier.
LeRoux frappa l’épaule de l’homme à la casquette, souriant. Lire la suite

J’ai testé pour vous #6 : les vacances dans le sud.

ross

Mes vacances dans le sud? Ouais nickel…

Mes enfants, il est temps. Alors je sais, ça fait super solennel en vrai, mais j’ai toujours rêvé de dire ça. Si si je vous assure; j’ai l’impression que ça me donne un genre de prestance, et tout plein de sagesse que vous n’auriez pas forcément. Enfin bref.
Il est temps. Et ça, sagesse ou pas, tout le monde a pu le remarquer. Le soleil a pointé le bout de son nez (métaphoriquement bien entendu – je précise pour les plus en retard), il fait chaud, on ne travaille plus (ou toujours pas pour certains) et on a soudainement envie d’aller faire griller quelques saucisses en se goinfrant de chips et en descendant bière sur bière près de l’océan. Oui oui, vous avez compris très vite (surtout que c’est dans le titre): il est venu le temps des fameuses vacances d’été – et non pas le temps des pipes dans les champs, pas encore en tout cas. Enfin, j’avoue que je serais bien incapable de dire s’il y a, ou non, un temps particulier pour ça; mais j’imagine qu’en hiver, le tableau doit être moins attirant.

Habituellement, mes enquêtes demandent beaucoup de temps et de préparation. Ici, tout s’est passé relativement vite. Un moment nous sommes en juin, tout le monde travaille et soupire en rêvant de Biarritz en été, et le moment d’après, on est au beau milieu du mois d’aout. Enfin presque, mais vous avez saisi l’idée. Je n’ai eu qu’à me glisser dans un short, enfiler une paire d’espadrilles, et attendre que ça se passe comme on dit. Je m’attendais déjà à entendre les cigales chanter, deux ou trois beaufs faire cramer trois merguez ici et là, et puis descendre livre sur livre sur le sable fin et tiède d’une petite crique tranquille et ensoleillée. Et attention, correctement ensoleillée hein, avec le bon angle et tout, sinon on ne bronze pas comme il faut, et on finit vanille-chocolat dans le meilleur des cas, vanille-fraise dans le pire. Seulement voilà, comme toujours j’ai tendance à rêver, à idéaliser un peu trop. Et bon, on ne va pas se mentir hein : jusqu’à ce que j’enfile mes espadrilles, tout allait bien. Après par contre, c’est un peu parti en vrille. Lire la suite

Traité de la chevalerie des temps modernes

C’est un rayon de soleil qui, s’infiltrant entre les lames du store, vint s’écraser contre mon visage endormi et me réveilla brutalement. Mon sommeil est si léger qu’il pourrait s’envoler au moindre éternuement, ça en est presque ridicule parfois. Vous pourriez vous asseoir dans un coin de ma chambre et simplement vous contenter de respirer par le nez aussi silencieusement que possible et dans neuf cas sur dix vous arriveriez à me réveiller. Oui, c’est à ce point, voire plus – peut-être même dix cas sur neuf. Les yeux toujours fermés, je tâtais l’environnement qui m’entourait en quête de mon téléphone sans jamais parvenir à mettre la main dessus; il allait donc falloir que je les ouvre, et je savais pertinemment ce qui allait se passer. J’avais la gueule de bois, et comme à chaque gueule de bois, une fois que mes paupières se relèveraient doucement et cesseraient de me protéger de la lumière, ma tête se lancerait dans un cycle infernal d’implosions chroniques. Soit. Une fois n’étant pas coutume donc, il me sembla rapidement que chacune de la moindre cellule qui composait mon crâne était en train de se suicider de la manière la plus effroyable qui fut. Lire la suite

About a girl/Lithium.

Selon les indications qui figuraient sur le papier, il lui fallait encore descendre d’environ 300 mètres sur le Royal Mile. Une grosse croix noire dessinée d’un trait appuyé venait symboliser l’endroit où, au bon moment, il devrait tourner sur sa droite. De jour comme de nuit, le Royal Mile était probablement l’endroit le plus bondé d’Édimbourg, à l’exception peut-être de Princes Street. Ici, touristes pensent découvrir le pays, au milieu de faux kilts, de cartes postales et de souvenirs bien trop chers ou de locaux jouant de la cornemuse pour récolter quelques pièces. La ville, la vraie, elle se dissimule derrière l’énormité et le sensationnel, derrière le masque du culte de la plus belle ville du monde. La ville, la vraie, elle se cache dans les recoins sombres et presque inaccessibles. Un peu comme ce qui paraissait à présent se dessiner devant lui. Lire la suite