Zéro pointé

C’est arrivé comme ça. Personne ne l’avait vu venir avant, et vous me direz, personne ne voit jamais rien venir. Bien triste vérité, pourtant trop réelle. Tout le monde s’est regroupé, formant un cercle pas tout à fait fermé, les yeux rivés sur les gouttes, la flaque, la mare. On n’avait rien entendu, si ce n’est le vent se déchainant au dehors et soufflant les branches encore fleuries d’arbres quelconques. Le cours se déroulait comme à l’accoutumée; professeur lisant, professeur posant une question, élèves ne répondant pas, professeur reposant la question sous une autre forme, élèves ne répondant toujours pas, professeur perdant patience, jusqu’à qu’un élève, toujours le même, finisse par lever la main. Ça en était presque devenu un rituel, et se passait toujours après le rituel d’entrée en classe – bonjour, asseyez-vous, quel temps fait-il aujourd’hui. Un rituel après un rituel.

La mare se répandait encore et encore, corrompant chaussures et chaussettes. Les élèves n’avait véritablement pas changé de comportement : ils demeuraient là, encore assis, immobiles et insouciants. Difficile pour eux de comprendre quoi que ce soit dans une telle salle de classe – plus personne ne faisait attention à ce qu’il s’y passait : agents d’entretiens, professeurs, grandes têtes pensantes de l’éducation. Eux ne gardaient plus à l’esprit que les solutions propices à redorer le blason de la salle de classe, au sens métaphorique. Il fallait faire mieux que l’étranger, au propre et au figuré. Le cercle se referma autour de lui; rien ne laissait penser qu’un trou béant servait de centre. Un trou béant.

Il y avait plusieurs choses à l’honneur dans la salle ce matin. Tout d’abord, la soustraction. Comme procéder à une soustraction, et que faire avec le reste. Deux notions importantes en mathématiques et en pragmatique; l’on apprend déjà très tôt à se comporter de façon pragmatique avec les chiffres et les nombres. Les opérations mentales cédèrent leur place à quelques enseignements de grammaire et d’orthographe basique : respecter le règles de ponctuations, s’arrêter où il faut, quand il faut; savoir accorder en genre, car le genre, c’est important.  Plus tard, enfin, la langue vivante. Car savoir compter ne sert que si l’on peut s’en vanter en plusieurs langues, chuchotait-on dans plusieurs bâtiments aux façades bien entretenues. Les derniers moments de classe donnaient souvent lieu à des moments de gaieté et de joie transparente, il y a longtemps. Aujourd’hui, chansons et dessins traditionnellement accrochés aux murs avaient laissé place au dab et aux filtres Snapchat. Chanter en se touchant les épaules, les genoux et les pieds ne suscita donc aucun enthousiasme chez les élèves, très demandeurs.

Certains membres du cercles, parents, syndiqués ou non, membre de comités, commencèrent à toucher ça du pied doucement, puis avec plus de vigueur. Il y avait, parfois, certains gestes qui suggéraient le dédain. C’était ironiquement quelque chose que l’on souhaitait voir disparaître dans les salles, mais qui, transmission parentale oblige, ne fit qu’y prendre racine plus grandement. Un énorme saule dans l’école. Et lorsque le professeur affronta l’échec du jour, il put facilement voir que le saule, avait encore fait des ravages. Contrairement à ce qui était attendu, un élève leva la main et fit tomber la sentence : un parent avait demandé à rencontrer, encore une fois, le professeur.

Le cercle, a présent rompu, s’essuyait les pieds tant bien que mal sur une veste qui trainait là. La police vaquait à ses occupations habituelles, s’impatientant de ne pas avoir plus quelque chose de plus gros à se mettre sous la dent. Sous le bureau, la tête du professeur gisait là; véritable ballon de football, qui n’avait pas servi qu’aux élèves. On mentionna le fait-divers quelques minutes durant les journaux télévisés, et l’on suggéra l’idée d’une cagnotte pour la famille. La police enquêta et classa l’affaire : le professeur, probablement une autre victime du stress, s’était donné la mort, sans raison valable. On cessa d’en parler aussi vite que d’un boys-band, et l’on effaça même le profil public du professeur – il ne représentait plus à présent que l’échec d’une fonction qui avait déjà beaucoup trop d’avantages, face à bien peu d’inconvénient. C’était peut-être eux, qu’il fallait éduquer et corriger.

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